dimanche 11 septembre 2011

Les Temps des Cathédrales

Les mémoires captives

Publié le 10 sept 2011 par DV Laisser un commentaire

Nous avons soif de commémorations. Ainsi voyons-nous repasser en boucle les images dramatiques du Onze septembre. Ainsi repasse-t-on les enregistrements de bord des avions détournés. Ce n’est pas le monde qui nous intéresse. Ce n’est pas l’éclairage de l’histoire. C’est l’ivresse de l’événement, de l’irréductible événement.

Méfions-nous des images. A l’irréductible, la réponse ne saurait être la réduction formatée des écrans de télévision. L’acte barbare du Onze septembre n’avait pas de sens et ne peut en avoir. C’est une violence pure. Le propre du Onze Septembre, de ces deux tours en flammes, c’est d’être une image qui s’échappe des écrans et du papier glacé des magazines pour hanter les cerveaux. Par sa charge symbolique sans doute, la tour foudroyée, par ses rappels de scènes plus vieilles du cinéma hollywoodien et de ses catastrophes.

A la vérité, le Onze septembre ne peut être un récit. Il défie le récit et la fiction. C’est au contraire un point de rencontre de témoignages, de douleurs, de silences. Une vérité humaine. Comment rendre hommage aux victimes du onze septembre ? En donnant la parole dans toute son humanité. Paradoxalement, c’est chez des poètes comme Paul Celan qui n’ont pu connaître cet événement qu’il faut chercher ce travail du témoignage lorsqu’il parvient à cette conclusion terrible de l’enfermement du témoignage en lui-même : « nul ne témoigne pour le témoin ».

Je crois qu’un tel événement ne peut trouver une forme d’assimilation – il ne s’agit ni de compréhension, ni de donner du sens – que par la création artistique, ce remâchage qu’est tout travail artistique véritable et qui vient s’ancrer dans la chair de chacun d’entre nous accompagnant l’expérience vécue du monde, ouvrant le témoignage à la compréhension de tous et à l’action. Pour moi, l’image la plus forte du Onze septembre, ce n’est pas une photographie, c’est un tableau de Zao Wou-ki. Rien n’indique dans le titre 07.05.2002 qu’il s’agisse d’une traduction de ces images. Et pourtant c’est d’emblée évident, plus encore à qui est familier de l’œuvre du peintre et sent la différence avec d’autres tableaux. De grands à plat bleus et au milieu, comme un carré sombre, monolithique, impénétrable mais qui tourne à la fumée à l’approche de ses bords. Des tours en fumée sur fond de ciel matinal. La peur et l’apaisement, plan sur plan. Comment ne pas trouver d’étranges résonances aussi dans les paysages de ruines amoncelées qui n’ont cessé de croître, d’envahir le monde, dans les œuvres d’Anselm Kiefer. Elles viennent de plus loin ces ruines, d’un lieu immémorial sans doute, comme on peut les entrevoir dans les tours d’un Moyen Age impossible au musée du Hangar Bicocca à Milan, comme on a pu les voir aussi en 2007 dans l’exposition Chute d’étoiles au Grand Palais. Mais elles disent quelque chose sur ce monde hanté par les ruines, les chutes et les effondrements.

Le cinéma, la littérature s’en sont emparés. La décennie 2001-2011 restera comme la décennie des cendres, métaphore de l’insensé, cette mort faite matière que l’on respire, comme dans la Guerre des Mondes de Spielberg autant que dans laRoute de Cormac Mc Carthy. Non pas pour montrer, raconter ou retracer, ces œuvres là apparaissent en définitive assez pauvres, mais pour laisser deviner, pour laisser affleurer à la surface. Mais surtout, il est urgent que nous nous délivrions, car en vérité nous sommes prisonniers de ces images terrifiantes, captivés autant que captifs. Il est urgent que nous regardions tout le film et pas seulement une image. Que nous rendions justice à toutes les victimes du terrorisme, sur tous les continents, à Madrid, à Bombay, à Marrakech. Que nous comprenions ce qui s’est passé. Que nous tirions les leçons de l’ensemble de la décennie écoulée, une décennie de la peur, de la force et des mépris.

Notre monde a besoin non de commémoration mais de recommencement, de dialogue, d’ouverture. Dépasser l’enfermement du souvenir, de la souffrance, du témoignage même c’est donner sens non pas à l’événement mais à sa propre expérience, à la capacité de ceux qui ont survécu, de ceux qui ont témoigné, de ceux qui ont vu, de se tourner vers l’avenir pour empêcher que cela se reproduise. Voilà bien l’interrogation que nous a lancée le Onze Septembre : comment lutter contre la barbarie ? Ni par la force, ni par le repli, ni par la hantise. La seule réponse, c’est la civilisation, c’est-à-dire le mot, le partage, le regard, bref tout ce qui fait lien, liannaj, pour reprendre un autre mot cher à Glissant.

En un sens, le Onze septembre restera un jalon de la mondialisation des images et des formes artistiques, un moment de dissémination d’images prises et reprises à travers le monde entier par des artistes de tous horizons, le face à face collectif avec un monde dur et dangereux. C’est ce qu’ont entrepris, dans l’ombre le plus souvent, les grands esprits et les grandes voix de notre temps, en se mettant au service du rapprochement des peuples, d’une créolisation du monde assumant ses conflits, telle que l’envisageait Edouard Glissant.

Nous devons saisir la chance de dépasser ensemble nos peurs pour refonder, partout à travers le monde, la démocratie, le dialogue, la justice qui seuls peuvent donner sens à ce monde que nous habitons. C’est bien ce qui se produit aujourd’hui. La décennie ouverte le 11 septembre n’a pas été refermée par la mort de Ben Laden. Ce n’est que la fin d’une traque, le dénouement d’un film. Non, c’est plutôt la chute des dictateurs arabes, de Ben Ali, de Mubarrak, de Kadhafi, sous la pression de peuples pacifiques et avides de liberté et de dignité. Et cela, ce n’est pas un film avec un début et une fin, c’est l’histoire en marche.

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  1. Nuits Blanches Neiges a dit :

    Votre commentaire est en attente de validation.

    11 septembre 2011 à 10:57

    Comme vous raconte François Dufay « A ses [vos] yeux, « changer la vie », c’est, dans notre époque subjuguée par une hyperpuissance et affolée de technique et d’images, appeler à la façon de Rimbaud l’avènement d’un nouvel âge d’échange et de partage, d’une nouvelle « charité »…

    …Je m’arrête devant cette cathédrale au rythme de mes éternels retours aux sources. C’était mon tout premier image de l’Occident, le 25 févier 1990, au matin, vue à travers la fenêtre du train Moscou – Paris, en arrêt à Cologne, comme dans mon miroir futur. Aujourd’hui, le 11.09.11, après votre révélation d’Anselm Kiefer, ses images et ses souvenirs me fonts réfléchir à nouveau sur le monde du Onze septembre – Tours effondrées – ville de Dresde brulée par des bombes à fragmentation et incendiaires, provoquant plusieurs dizaines de milliers de morts des allemands innocents…tout comme, le 6 et 9 aout de la même année victorieuse.

    Et cette cathédrale, « un des seuls édifices à être resté debout après les bombardements incessants qu’a vécus la ville de Cologne durant la Seconde Guerre mondiale. », est un symbole pour moi, plus une simple image.

    http://www.lepoint.fr/actualites-litterature/villepin-le-cercle-des-poetes/1038/0/37644
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Kölner_Dom_-_Hängegerüst.jpg
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Anselm_Kiefer
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Dresde
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Cathédrale_de_Cologne

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