mardi 27 septembre 2011

Tours jumelles de Babel

Aujourd’hui, il faut avoir le courage de le dire : il n’y a pas de solution sans douleur à la crise que traverse la zone euro et qui s’aggrave de jour en jour. Mais la pire de toutes, c’est celle qui prévaut aujourd’hui, c’est l’indécision. En remettant sans cesse à demain, on ne gagne pas du temps on en perd.

Cessons de prendre à la légère ceux qui veulent une sortie de l’euro, à gauche comme à droite. Car ce qu’ils décrivent n’est pas, n’est plus de la science fiction. La zone euro peut éclater en morceaux, par exclusions successives, elle peut se fendre en deux par lassitude allemande. Nous n’en sommes pas là bien sûr. Mais rappelons les coûts immenses que cela implique, avant d’en tirer le moindre bénéfice potentiel– une ruée des épargnants dans les banques, une fuite massive des capitaux, une récession brutale.

Cessons aussi de brûler ce que nous avons adoré sous l’effet de la panique. J’en ai la conviction, l’euro vaut la peine d’être sauvé, même si cela coûte des sacrifices. Trois raisons à cela : d’abord, l’avenir de la mondialisation qui est aux grands marchés intégrés aux monnaies fortes – zone yuan, zone dollar, zone euro- au risque sinon de se soumettre aux risques de crises de change douloureuses et injustes ; ensuite, la réalité européenne qui implique qu’en cas de retour aux monnaies nationales, le néofranc sera comme un satellite dans l’orbite du néomark, nous aurions les inconvénients de l’euro sans en avoir les avantages ; enfin l’irrationalité des marchés et des hommes en général, qui conduirait en cas de séparation à des attaques chaotiques, à des confrontations politiques, au détricotage probable de tout ce que nous avions construit de convergences.

Cela suppose des réponses globales à un problème complexe. Rappelons-le, il y a aujourd’hui deux problèmes économiques en Europe :

Le premier problème, c’est le niveau d’endettement de nombreux pays du sud et la spirale infernale dans laquelle ils se trouvent, l’austérité entraînant toujours plus de récession et donc toujours plus de déficit.

Le deuxième problème, plus grave encore peut-être, c’est le déséquilibre de compétitivité qui est comme figé par la monnaie unique, au détriment des moins compétitifs. Il est plus grave parce qu’il empêche les pays du sud de l’Europe de renouer avec la croissance qui seule peut renflouer les caisses. C’est ce qui explique la croissance atone de la zone euro au cours de la dernière décennie, à peine au-dessus de 1% par an.

Si la Grèce ne souffrait que de ses déficits élevés, nous pourrions envisager de régler le problème en effaçant l’ardoise. Mais cela ne règlera pas le problème de la compétitivité de l’économie grecque. La même chose vaut pour la France. Nous ne redeviendrons pas compétitifs seulement en résorbant nos déficits. Nous ne retrouverons pas nos emplois industriels seulement en résorbant nos déficits. Nous ne comblerons pas le déficit commercial record seulement en résorbant nos déficits. Le croire, c’est de la pensée magique.

Si la Grèce ne souffrait que d’une faible compétitivité, on pourrait envisager des réformes structurelles et graduelles, une réforme de l’Etat, des investissements publics pour renforcer la compétitivité. A un tel niveau de déficits, la Grèce n’est pas en mesure de se réformer. Elle est condamnée à tailler à tout va.

Où ce cercle infernal trouve-t-il son centre ?

La clé, c’est l’Allemagne. Elle doit comprendre que l’Europe n’est pas constituée d’Etats qui ont vocation, tôt ou tard, à devenir comme elle. Elle doit accepter l’idée que ses succès éclatants des dernières années sont la face visible d’une médaille dont le revers ne saurait être négligé. L’Allemagne a vendu ses produits aux pays européens moins compétitifs en raison justement de ce déséquilibre persistant.

Mais après tout, il est un peu facile de s’en prendre à l’Allemagne. Poussons le raisonnement plus loin. Si ce déséquilibre a pu s’installer, c’est que la France, son partenaire essentiel – économiquement et politiquement – a laissé faire. La France a abandonné sa position de contrepoids, pour sauter sur l’autre plateau de la balance. Qui peut s’étonner du déséquilibre aggravé ? Nous devons assumer notre rôle de porte-parole du sud de l’Europe, notre vocation de recherche de l’équilibre. Il en va de l’intérêt général européen.

Ce que nous devons promouvoir, dans l’esprit de l’Europe pionnière et de l’Europe de la paix, c’est en somme une grande négociation franco-allemande à vocation européenne. Pas faire semblant et multiplier les manœuvres dilatoires, décider de ne rien décider, mais au contraire trancher dans le vif et faire des sacrifices de part et d’autre pour parvenir à un équilibre juste. Un accord austérité contre compétitivité.

Il faudra tout d’abord se redonner du temps pour ne plus être pris à la gorge. Cela veut dire non pas effacer mais rééchelonner la dette grecque pour lui permettre de mener à bien les réformes nécessaires. Cela veut dire aussi que l’Allemagne accepte une mutualisation des dettes à travers des garanties communautaires aux obligations.

Il faudra que nous acceptions une rigueur accrue.

Il faudra que nous mettions en œuvre des mécanismes pour la croissance européenne. Cela supposera des transferts budgétaires entre zones très compétitives et zones moins compétitives, notamment à travers de grands investissements d’avenir dans l’innovation et l’économie de la connaissance, financées par le même outil, des eurobligations.

Cela suppose de bousculer les électorats de part et d’autre du Rhin, mais il est encore temps aujourd’hui alors qu’il ne le sera plus demain, lorsqu’ici et là on finira par se convaincre que la seule solution c’est la sortie de l’euro.

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4 réponses à l'article “Europe indécise, Europe à la dérive”

  1. TABARIN a dit :

    Enfin une vraie liberté de ton ! Quel autre homme politique ose dire qu’il faut bousculer les électorats ? Autrement dit qui ose dire que les responsables politiques actuels manquent de courage, du courage de décider, de choisir une solution ?
    Selon l’adage bien connu, choisir c’est renoncer. Et renoncer aux avantages politiques de l’ambiguïté c’est difficile pour la majorité d’entre eux. Mais la conséquence ce sont les citoyens qui les paient :
    - les 4 millions de chômeurs qui voient s’éloigner des opportunités d’emploi,
    - les 8 millions de pauvres qui voient se réduire leur maigre pouvoir d’achat,
    - les 5 millions de Français actionnaires qui voient leurs économies fondre.
    Bref, le manque de courage de quelques uns est trop cher payé par tous les autres.

  2. JMSR a dit :

    Une TVA additive européenne finançant l’émission d’euro-bonds par l’Union Européenne, qui n’a aucune dette, permettra pour partie de
    relancer l’économie européenne qui réanimera l’ensemble des économies des Etats: c’est absolument vital pour les entreprises, l’emploi et l’équilibre social.
    Un plan de relance économique européen orienté prioritairement vers les pays les plus endettés, mais qui ne sont pas les plus importants, stimulant une nouvelle croissance innovante et « verte »: 2 à 3% additif à la TVA 3E, prônée par D. de Villepin, dans tous les pays européens compensé par une baisse des impôts sur les revenus les plus modestes ne peut effaroucher l’Allemagne : seule la croissance peut sauver l’Europe.
    Cette TVA 3E additionnelle européenne jouera un rôle de protection à l’importation de produits de dumping social et environnemental, la réduction des impôts directs sur les plus bas revenus épargnera aux plus modestes les effets des efforts indispensables au profit d’un maintien de la consommation. L’heure est à la décision et à la responsabilité, non aux atermoiements. Le danger maximal se rapproche rapidement: Les gouvernements sont-ils prêts à brader des décennies de construction européenne dont le pivot politique s’est concrétisé par le Traité de l’Elysée en 1963 en réponse à une des plus grande tragédie que l’humanité a connu? A-t-on la mémoire si courte? C’est le chemin digne qui ne fera plus dépendre la France et l’Europe de la dictature des marchés: l’effort dans le rassemblement des français et l’audace et l’union européennes sont nos seules planches de salut dignes de notre histoire.

  3. fabre a dit :

    Appel aux déçus du Sarkozysme

    Si DDV veut être au dessus des partis et rassembler c’est très bien et c’est tout en son honneur de ne plus concevoir la politique sous l’angle de la division et de l’affrontement et comme il le dit,” il y a des expériences, des sagesses, des bonnes volontés ” partout dans notre pays ; mais cela suppose qu’il faille les trouver et les réunir; nous voilà a mon avis au coeur du problème ;
    Si les expériences, les sagesses et les bonnes volontés sont facile a trouver chez les sympathisants ou le peuple il en est autrement de les trouver dans les partis politiques ou dans la société civile;
    Il va être très difficile de trouver des sympathisants dans les rangs des partis déjà constitués et dans les personnalités politiques les représentants pour en faire une majorité.
    A mon avis il est illusoire de penser qu’un socialiste ou un électeur du front de gauche ou du FN votera DDV, quelques UMP franchiront le rubis mais certainement pas au premier tour et faudrait il qu’i y est un second tour pour DDV ; ;la maturité politique des Français n’est pas encore a ce stade et sondages et pensée unique aidant ils ne sortiront pas de leur bipolarité droite gauche ;
    Il faudrait un vote des électeurs UMP pour DDV ,c’est une voie très étoite,mais si Sarkozy est si mal aimé comme le dise les sondages cette translation est possible et gagnante .
    La réussite de DDV ne peut se concevoir que dans une désaffection profonde de Sarkozy, sans cela il n’y aura pas assez de convaincus et les bonnes volontés ne seront pas suffisantes; c’est la droite qui au sein d’un rassemblement peut propulser DDV avec peut être quelques centristes ;
    Par ailleurs il serait mieux de savoir au plus vite avec qui on se rassemble,le temps presse et il faut du temps pour que les esprits même les mieux intentionnés réfléchissent et prennent leur décision.
    La désaffection de Sarkozy, l’arrivée d’hommes anciens ou nouveaux mais de consensus au dessus des querelles partisanes avec la personnalité de DDV sont les conditions peut être pas suffisantes mais au moins nécessaire pour élire DDV. Il faut combattre Sarkozy a tout prix dans cette campagne électorale . Il en va du sort de la France,la situation est trop grave pour réélire les mêmes pourfendeurs.
    La bonne voie est celle que prône DDV mais je pense qu’il sera trop en avance pour les présidentielles ,par contre cette attitude peut être gagnante pour les législatives ou les gens auront moins peur de sauter dans l’ inconnu et sortiront plus facilement de leur schizophrénie chronique .

  4. Christian Casper a dit :

    Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse de la situation. En revanche, il me parait vain de demander à l’Allemagne de réduire la compétitivité qu’elle a su restaurer ou de partager les fruits de celle-ci avec des pays membres de la zone euro du sud qui ont fait d’autres choix.
    Je pense qu’il serait préférable que la France vise le haut de la classe européenne pour rester un acteur économique mondial dans une économie mondialisée plutôt que se situer au milieu d’une médiocre moyenne européenne.
    La fracture au sein de la zone euro est, en effet, désormais trop béante.

  5. VTR a dit :
    Votre commentaire est en attente de validation.

    Je suis d’accord avec les remarques précédentes, on voit une liberté rafraichissante de ton, du courage, et une analyse très brillante de la situation.

    Hélas….

    Pour une fois ne soyons pas optimistes et utopistes:

    Il est évident qu’il est trop tard
    Il est évident qu’il serait impossible d’influencer à temps la politique de l’Allemagne, elle ne souscrira à cette analyse rien que du fait, qu’il faut au minimum que Vous soyez élu le président (avec au-delà de 60% des suffrages exprimés !?), et encore!

    Maintenant quelque réflexions de caractère plus personnel.

    Cette analyse, quelque soit son niveau d’excellence et de profondeur m’a fait penser, par une association d’idée, aux tentatives infructueuses de sauver in extremis le système soviétique dans les années 80 du siècle dernier.

    C’est une métaphore, les parallèles en premier degré seraient tropeurs.

    « Cela supposera des transferts budgétaires entre zones très compétitives et zones moins compétitives » – écrivez vous, Monsieur le Premier Ministre, mais c’est exactement ce qui se passait à l’Union Soviétique – des transferts budgétaires entres des régions en faillites et des régions prospères. Ça a emmené une faillite de l’ensemble.
    Mais c’était juste une dimension économique.

    La dimension national et/ou linguistique était encore plus importante.

    Certain ont déjà oublié, ou voulu tout simplement oublier, d’autres n’ont jamais su, que Lénine & Staline outre d’être des dictateurs d’enfer sanglant étaient aussi et avant tout des théoriciens brillants et des praticiens du marxisme appliqué à cette vaste région à cheval entre l’Europe et l’Asie qui est la Russie avec toutes ses zones environnantes, qui change en permanence de la topologie avec et aux aléas de l’Histoire.

    La question national était donc toujours au centre de leur préoccupations politiques et intellectuelles.

    Je propose, en guise de preuve, « Le Marxisme et la question nationale » signé Joseph Staline (1913), cf http://www.karlmarx.fr/Etudes/stalinenation.pdf

    Il y en a beaucoup d’autres…

    On connait, d’après la Genèse, le sort tragique de la Tour de Babel.

    l’Entreprise eut eu un mince espoir de réussir – les gens parlèrent la même langue.

    Sur quelle chance, sur quelle météorite, ont conté des pitoyables architectes de la Deuxième Tour de Babel ? Elle s’effondrera sur Elle même, tout comme sa Sœur jumelle du Onze Septembre…

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